Il est d'habitude que la Communauté du Grand Séminaire
Saint Curé d'Ars de Bujumbura fasse une réflexion critique et se questionne sur
certains sujets qui hantent l'existence humaine de ce temps pour tenter de
comprendre comment ce dernier pourrait ajuster en conséquence son mode de vie. En
ce 11 Avril, à ce Séminaire, une journée philosophique a été organisée
sur le thème «L'évolution technologique - entre science, utopie et manipulation».
La conférence s'est tenue dans les enceintes de ce Séminaire, co-animée par trois
facilitateurs: l'Abbé Fulgence NSHIMIRIMANA, l'Abbé Stanislas KUBWIMANA et la Soeur
Ancilla NDORUKWIGIRA, et la modération était assuré par l'Abbé Sébastien
NIYONZIMA.
Comme il est d'habitude, ce sont des étudiants séminaristes qui trouvent un sujet de leur choix qu'ils proposent à la Direction Académique pour essayer de l'analyser sur le plan philosophique. Généralement, ce sujet s'inspire du vécu quotidien de l'homme de plus en plus vigile mais angoissé par son impuissance face à certains défis. Les étudiants du Grand Séminaire Saint Curé d'Ars de Bujumbura avaient voulu que ce soient les enjeux du progrès de la technologie sur la vie de l'homme dans son écologie qui soient analysés, car pour eux, l'évolution technologique crée deux types de situation difficile à faire cohabiter: la technophilie et la technophobie.
Soumis à la Direction Académique du Séminaire, ce problème fait que soit mobilisés trois analystes. Le premier, l'Abbé Fulgence NSHIMIRIMANA, a présenté son exposé sur la Conception et le Développement de la technologie dans l'histoire de l'humanité, une conception qui s'est soldée sur certaines insuffisances, vu les erreurs observées dans l'histoire de la technoscience. Le deuxième, l'Abbé Stanislas KUBWIMANA, a exposé sur les tendances prometteuses de la technoscience, du fait que les scientifiques développent une «Volonté de Puissance» pour tenter de trouver des solutions à certains problèmes. La troisième conférencière, Soeur Ancilla NDORUKWIGIRA, est revenue plutôt sur l'essentielle des enjeux du progrès technologique, les enjeux écologiques.
Si nous en revenons aux différentes réflexions
faites dans la conférence, la première présentation n'était qu'une ébauche pour
susciter les interrogations. Elle se situait du côté des philosophes qui ont développé
leurs pensées sur l'intérêt de l'évolution technologique. Le conférencier, l'Abbé
Fulgence NSHIMIRIMANA, tentait de justifier la spéculation des défenseurs de l'évolution
technologique comme une nécessité car, «une technique est par essence un état
particulier qui porte rationnellement à la production».
Parmi les philosophes cités figurent Aristote (la technique comme création et comme signe de supériorité de l'homme); Francis BACON (pour qui la science est essentiellement positive et selon lequel la finalité est d'enrichir la vie humaine) et Karl Marx avec l'invention des machines (ce penseur établissant une analogie entre la technologie moderne, la technologie organique et l'évolution de la vie, un rapprochement qui prétend que le monde vivant et le monde technique sont évolutifs, et que l'homme appartient aux deux mondes, le monde naturel et le monde technique).
Mais, ce conférencier se heurte à un bon nombre de problèmes posés par la technologie, du fait que les technologies ne cessent pas d'accroître leurs capacités d'affecter physiquement et psychologiquement l'être humain, notamment par la modification inconsciente, directement ou indirectement, du milieu. En guise d'exemple, il a cité l'époque de la seconde guerre mondiale où la technologie naguère considérée comme faite pour le bien-être de l'homme a été utilisée pour la destruction de la vie et de la nature. D'où le caractère ambivalent de la technologie, selon lui. Il a même qualifié la technologie de «arme à double tranchant», arrivant même à provoquer les craintes, les déceptions est des espoirs souvent éloignés de la réalité. Remarqué que la philosophie développée ne lui permettait pas de lever toutes les interrogations sur les enjeux de l'évolution technologiques, c'est ainsi qu'il céda la place au deuxième facilitateur.
L'Abbé Stanislas KUBWIMANA, celui-ci, va s'inscrire dans une perspective techno-politique pour tenter l'approche de la volonté de puissance inspirée des travaux de Gelassenheit, passant par Descartes, initiateur de la technique moderne et auteur de la pensée selon laquelle l'homme est maître et possesseur de la nature. Ce deuxième exposé concevait que tout Etat ou tout individu est animé d'une volonté de puissance pour sa survie, arguant que dans cette perspective, l'insouciance n'est pas permise, tout en rappelant que la technologie est devenue un mode de vie, et qu'il est impossible de s'en passer.
Tandis que d'un côté il cite, Pape François pour ce que la technique engage l'homme dans ce qu'il ne peut de lui-même, ni inventer, ni encore moins faire, l'Abbé Stanislas KUBWIMANA ne manque pas tout de même revenir sur les penseurs Francis BACON dans son Novum Organum et Descartes dans Discours de la méthode dans leur conception de rendre l'homme maître de la nature (pensée des Lumières). Il prône donc les découvertes scientifiques et la mondialisation des valeurs dans l'accès facile aux biens de consommation. Mais, hélas, furent cités des philosophes contemporains comme Heidegger, Hannah ARENDT, Marcel Gabriel, Théodore Adorno et Max Horkheimer qui ont relevé les dangers de la technique ou de l'usage erroné de la raison. D'où encore une fois le soutien de Gelasseinheit qui veut que, face au monde et aux multiples objets techniques, l'homme doit reconnaître ses limites.
Le débat fut si chaud que l'analyse des défis méritait un regard plus profond. Ce fut alors le tour de la troisième conférencière, Soeur Ancilla NDORUKWIGIRA qui a développé les enjeux écologiques face au progrès de la technologie. Dans son exposé, elle est partie des observations simples, celles qui consistent à observer des moyens de transport, des progrès de la médecine, des machines à cultiver et des industries de transformation qui, tout en étant des moyens d'amélioration de la qualité de vie, provoquent néanmoins des déséquilibres dans la biosphère et dans la société: pollution de l'air, changements climatiques, extinction de la biodiversité, dégradation de la qualité du sol et pollution des eaux, sans oublier l'épuisement des ressources naturelles.
Selon Soeur Ancilla NDORUKWIGIRA, les enjeux de l'évolution
technologiques ont des racines très profondes car ils vont jusqu'à provoquer l'émergence
des problèmes écologiques et ont donc un impact sur la nature, d'où le danger d'une
technique non contrôlée se manifeste dans toute l'humanité. Elle salue ici l'émergence
des défenseurs des questions écologiques, ce qu'elle a qualifié de «Ecologie
politique», ce mouvement qui est né pour réagir contre la pollution et la dégradation
de la nature, causée par les activités industrielles, et d'autres qui s'inscrivent
dans la logique de l'élaboration d'une écologie intégrale. Elle a insisté sur
la logique de la technologie qui imite la création de Dieu comme langage d'amour
et de l'interdépendance entre les créatures et la terre comme un héritage
commun.
Signalons que dans cette conférence-débat, même
les séminaristes ont eu l'occasion de s'exprimer. Tantôt ils exprimaient les inquiétudes
qui n'ont pas trouvé satisfaction dans les exposés des conférenciers du jour, tantôt
ils posaient des questions. Tandis que les réflexions voulaient que continue le
jeu de questions-réponses, tandis que même d'autres professeurs du Grand Séminaire
Saint Curé d'Ars de Bujumbura avaient dû intervenir pour enrichir le débat, le modérateur
a dû intervenir pour clôturer la séance: «S'il y a des insatisfactions, c'est
le propre de la Philosophie pour continuer à réfléchir sur certaines soif»,
a-t-il conclu, appelant tout un chacun à chercher, non seulement le savoir-faire
et le savoir-être, mais surtout le savoir-être plus.
Michel NIBITANGA, CEDICOM